Accoucher à domicile, un autre siècle pour certaines, une envie pour d’autres. Revenir à l’état de nature, au diable la médecine moderne et toutes ses machines ! Aujourd’hui, elles sont quelques centaines à faire ce choix chaque année en France.Un chiffre qui paraît énorme, et pourtant il est bien réel, 90 % des femmes dans le monde accouchent à domicile. L’accouchement à domicile (AAD) n’est plus un phénomène anecdotique en France. On observe une augmentation très nette ces cinq dernières années (1 % des naissances, soit 8 200 bébés par an, contre 0,5 %) mais c’est surtout la demande qui est de plus en plus forte. Alors que certains professionnels l’estiment entre 3 et 5 % des grossesses, d’autres, comme le collectif Évolutionnaire AAD, affirment que 25 % des Françaises sont désireuses d’accoucher chez elles. Une donnée qui vient nuancer la dernière enquête de la Drees, réalisée par l’institut Ipsos, où plus de 95 % des femmes se déclarent «très ou plutôt satisfaites» des conditions de la naissance de leur enfant.
La grossesse doit être « normale »
80 % des grossesses sont physiologiques, c’est-à-dire à bas risque. C’est une condition indispensable pour une naissance à la maison. L’accouchement à domicile est exclu dans certaines situations: présentation du bébé par le siège, grossesses multiples, antécédent de césarienne. Une fois ces conditions respectées, ce n’est pas plus dangereux d’accoucher à la maison qu’à la maternité. Des complications peuvent se produire dans les deux cas et si ces dernières ont lieu à la maison, la maman est très rapidement transférée à l’hôpital.
Les avis divergent
L’Académie nationale de Médecine et le Collège national des Gynécologues Obstétriciens de France (CNGOF) pour leur part, sont plus que réservés sur cette pratique. Ils rappellent qu’aucun accouchement ne peut être dénué de risque avant d’avoir pris fin – et même quelques heures plus tard, une hémorragie post partum pouvant toujours survenir. Pour ces raisons, ils préconisent vivement un accouchement sécurisé en milieu médical.
Le Collège national des Sages-femmes (CNSF) et le Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE) plaident en revanche pour un accouchement moins médicalisé. Ils soulignent en particulier que moins de problèmes surviennent dans le milieu plus calme et plus confortable du domicile.
Mais les données fiables manquent. Des études ont été effectuées, mais hors de France. Aux Pays-Bas, au Royaume-Uni… des pays où la prise en charge est très différente. De même, seules les femmes qui ne présentent aucun risque décelable accouchent chez elles. Du coup, il est périlleux de comparer directement les chiffres de mortalité maternelle ou fœtale entre domicile et hôpital.
Une pénurie de sages-femmes
En France, si un décalage existe entre cette demande en hausse et sa faible pratique, c’est principalement à cause de la pénurie des sages-femmes libérales qui ne sont qu’«une soixantaine à oser le faire», explique Jacqueline Lavillonnière, ex-présidente de l’Association nationale des sages-femmes libérales (ANSFL). Mal vues par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français qui condamne «ce retour en arrière», ces professionnelles sont d’autant plus rares à faire ce choix qu’elles ne bénéficient pas d’assurance pour leur exercice à domicile.
La sage-femme au cœur de l’accouchement
Seules les sages-femmes libérales pratiquent l’accouchement à domicile. Elles ont établi une charte fixant des critères très stricts : pas d’accouchement pour les femmes ayant des antécédents médicaux, celles qui ont déjà eu une césarienne, et celles qui attendent des jumeaux ou dont l’enfant se présente par le siège. La charte de l’accouchement à domicile des sages-femmes est au cœur de leur intervention. Les principes fondamentaux : « A chaque couple qui en fait la demande, la sage-femme doit donner une information impartiale et claire sur leur choix. Elle définit son champ de compétence et indique les limites de son exercice ». « L’accouchement et le suivi postnatal doivent être pratiqués par la ou les sages-femmes ayant effectué le suivi de grossesse ». « La préparation de la naissance doit tenir compte du climat relationnel et affectif qui entourent les futurs parents et envisage les aspects matériels de l’AAD. Elle vise à créer un climat serein et confiant sans lequel l’accouchement à domicile deviendrait contre-indiqué.
Les tarifs remboursés pour un accouchement à domicile sont fixés par la sécurité sociale. Les dépassements d’honoraires sont fréquents en fonction des sages-femmes et de la distance à parcourir pour arriver chez la patiente.
Une pratique risquée ?
Les risques existent comme tout accouchement. La plupart des médecins praticiens sont opposés à cette méthode car une césarienne peut être nécessaire en cas de problème. Mais dans les chiffres toutes les études montrent que les risques sont les mêmes que lors d’un accouchement en maternité. Néanmoins, prévoir un déplacement rapide vers une maternité est indispensable. Tout comme il est préférable de constituer un dossier en maternité classique pour parer à toute éventualité le jour j.
Les Pays-Bas
Aux Pays-Bas, 30% des naissances se font à la maison. Les politiques de naissance sont largement en faveur de cette pratique, et encourage les femmes à accoucher à domicile. D’autant plus qu’une étude de grande ampleur portant sur 530 000 naissances aux Pays-Bas montre qu’il n’y pas de différence entre le taux de mortalité des mères et des bébés par rapport à l’accouchement en milieu hospitalier.
Le rôle du père
A la maison, le rôle du père est bien différent de l’accouchement en maternité. Il est primordial. Ce n’est pas qu’un simple observateur, il devient acteur de la naissance. Il peut aider sa compagne à trouver une position pour la soulager, faire des massages, et surtout l’encourager. Il est beaucoup plus proche de l’action et en est même le principal pilier psychologique.
Combien ça coûte ?
Tout dépend de la sage-femme. Soit elle est conventionnée et ne prends pas de dépassements d’honoraires : les visites et l’accouchement sont intégralement remboursés par la sécu. Elle peut-être également conventionnée, mais demande des dépassements d’honoraires. Ou elle n’est pas conventionnée. Les remboursements de la sécurité sociale se font à hauteur de 15,30 euros pour les consultations de grossesse et 312,50 euros pour l’accouchement. Quant aux remboursements des mutuelles ils sont très variés. Un accouchement à domicile reste bien moins cher qu’un accouchement en structure spécialisée.
Accoucher dans l’eau
Donner la vie dans l’eau est une pratique très populaire aux Etats-Unis, au Canada, en Belgique et aux Pays-Bas. En France elle est beaucoup moins installée. Peu d’établissements, huit seulement, proposent une baignoire ou un jacuzzi adapté à l’accouchement aquatique. Pourtant il a prouvé son efficacité, moins de douleurs, moins de complications, et moins de stress pour les mamans, et donc pour le bébé. Si ce mode d’accouchement est pratiqué à la maison, il faut s’équiper d’une baignoire adéquate, et bien sûr en présence d’une sage-femme qualifiée.
Plus d’infos sur le site de l’Association française de naissance aquatique: www.accouchement-dans-leau.com
Le guide de la naissance naturelle
L’auteure Ina May Gaskin est une référence mondiale de l’accouchement. Ses livres publiés font partie de l’enseignement officiel des écoles de sages-femmes. Elle raconte son expérience de sage-femme à travers ses récits de naissance dont elle a garde précieusement tous les souvenirs après 40 ans de carrière. Elle y partage son travail de sage-femme sans tabous.
Le guide de la naissance au naturel, d’Ina May Gaskin, Mama éditions, 496 pages, 29 €
Questions à Isabelle Desvallées, sage-femme
Côté Mômes : Que recommandez-vous aux femmes qui veulent accoucher chez elle ?
Isabelle Desvallées : Je leur conseille de trouver une sage-femme ou pourquoi pas (encore plus rare ) un médecin qui le pratique et d’éviter surtout d’accoucher seule ou avec uniquement des femmes qui certes sont des femmes avec plus ou moins d’expérience ,ou des doulas mais n’ont malheureusement pas le savoir approprié quand les choses se compliquent et n’ont la plus part du temps aucun matériel de première urgence, ce qui peut sauver la vie de la mère ou du bébé ou éviter des complications.
C.M. : Pourquoi si peu d’engouement en France pour l’accouchement à domicile ?
I.D. : Je pense que cela va dans le même sens que pourquoi autant de médicaments prescrits et consommés en France ? Il y a une vision souvent assez terrorisante de l’accouchement et les femmes pensent de ce fait très vite péridurale, on leur insuffle d’ailleurs très tôt dans la grossesse si elles n’y ont pas pensé.
Le suivi est plus souvent fait au départ par des médecins ou obstétriciens même si ces dernières années, j’ai l’impression que les femmes savent plus souvent qu’elles peuvent aussi être suivie par une sage-femme. Ce qui change tout car nous avons une formation d’abord sur la physiologie et les accompagnons plus facilement dans celle-ci sans qu’elles aient besoin d’arriver à rentrer dans des pathologies pour qu’on les écoute enfin.
Ceci dit, la demande est me semble-t-il en augmentation mais ne trouvant pas toujours de réponse faute de sage-femme pratiquant l’accouchement à domicile. Ce qui amène certaines femmes à accoucher seules ou avec des personnes non qualifiées, mais aussi d’autres à se déplacer pour trouver la sage-femme qui les accompagnera, et d’autres à renoncer à leur projet faute d’avoir trouvé un(e) praticien(ne). Il n’est pas rare non plus qu’elles tombent sur quelqu’un qui leur fait peur par rapport à l’accouchement en général dans l’idée de les dissuader de leur désir d’accoucher à la maison, ce qui finit parfois par les angoisser au sujet de l’arrivée de leur enfant où qu’elle ait lieu.
Un des problèmes majeur étant aussi l’absence d’assurances pour les sages-femmes qui pratiquent l’accouchement à domicile en France.
C.M. : Comment une sage-femme prépare l’accouchement ?
I.D. : Il faut d’abord comprendre les motivations du couple pour ce choix d’accouchement, pour pouvoir mettre à jour les peurs qui pourraient le jour venu de l’accouchement compliquer la situation.
Il faut que les choses soient le plus clair possible entre le couple et la sage-femme quant aux conditions de l’accouchement (critères d’acceptation ou de refus, projet du couple ,quand appeler, le matériel nécessaire, les limites d’exercice de la sage-femme…).
Cela demande donc du temps pour se connaître, et être en confiance les uns avec les autres.
Il ne faut pas que cela soit l’accouchement à domicile à n’importe quel prix, donc il faut aussi mettre en confiance avec la maternité la plus proche. C’est pour cela que je demande nécessairement au couple d’avoir non seulement fait une consultation d’anesthésie dans cette maternité mais aussi d’avoir fait une consultation avec une sage-femme ou un obstétricien pour pouvoir aussi discuter de leur projet de naissance au cas où l’accouchement aurait finalement lieu en milieu hospitalier et que l’équipe hospitalière connaisse également le couple; Il peut m’arriver aussi pour des situations particulières de prendre contact avec l’équipe de la maternité.
Je prévois aussi toujours au moins une visite à domicile avant l’accouchement pour ne pas avoir de surprise sur l’accessibilité et parce que cela concrétise aussi plus les choses pour le couple.
Pour le reste c’est un suivi de grossesse comme pour un accouchement en structure: vérifier qu’on reste dans la physiologie et accompagner le couple dans la grossesse dans ses joies ,ses découvertes et ses appréhensions.
C.M.: Combien de temps passe-t-elle avec la famille, en tout ?
I.D. : Personnellement, je passe au moins une heure par consultation, plus les séances de préparation en groupe ou en individuel de 1h30 à 2 h00. Ce qui fait en totalité si le couple vient me voir dès la déclaration de grossesse (ce qui est assez fréquent dans la population qui veut accoucher à domicile car ils sont généralement beaucoup plus informés de cette possibilité d’être suivi dès le début par une sage-femme que dans la population générale ) autour de 14h à 18h. Ceci étant l’idéal pour un couple qu’on ne connaît pas d’une précédente grossesse. Mais il y a toujours des exceptions (déménagement en cours de grossesse,couple voyageurs, difficultés pour une première grossesse à trouver la sage-femme) où il va falloir faire ce que j’appelle de l’accéléré et se voir plus souvent en fin de grossesse car on ne s ‘est pas rencontré avant, en sachant que cela peut aussi être un critère de refus .
C.M. : Quels « compléments médicaux » apportez-vous en cas de problème ?
I.D. : Je travaille beaucoup avec l’homéopathie, et les médecines douces mais j’ai aussi de quoi aspirer et oxygéner le bébé en cas de besoin, de quoi perfuser la mère, de quoi faire une anesthésie locale et du fil si il y a besoin de recoudre une déchirure, de l’ocytocine que je n’utilise qu’en post-délivrance en cas d’hémorragie; par contre si je pense nécessaire de l’utiliser pendant le travail je préfère transférer à l’hôpital car nous ne sommes pas dans de l’urgence.
Pour moi, à la maison on doit d’autant plus être dans le respect de la physiologie car à partir du moment où on commence à médicaliser, on ne sait pas où cela va s’arrêter donc mieux vaut être en structure hospitalière.
Je dois dire que je promène beaucoup ce matériel pour ne pas l’utiliser, mais que c’est toujours rassurant de l’avoir pour le cas rare où on en aurait besoin.
C.M. : Quels sont les problèmes les plus fréquents ?
I.D. : Le problème le plus fréquent que je rencontre, et je dirais que cela doit représenter 90% de mes transferts, c’est la non évolution de la dilatation.
C.M. : Quelles différences observez-vous, comparé à l’accouchement en maternité ? (positives et négatives)
I.D. : Il faut voir déjà si on compare la maternité avec la sage-femme de garde ou la maternité dans le cadre de l’accompagnement global sur plateau technique, ce qui n’a rien à voir car la première demande des couples qui veulent accoucher à domicile est d’avoir « leur » sage-femme (c’est-à-dire en même temps celle qui les a suivi tout au long de la grossesse et celle qui va être là du début à la fin de l’accouchement sans changement parce que c’est l’heure du changement de garde) .
C’est la première différence entre maternité et domicile (quand on est pas dans de l’accompagnement global sur plateau technique): la continuité des soins et de l’accompagnement par une même personne.
La seconde me semble l’intimité et le respect des rythmes physiologiques plus difficile à respecter en maternité pour des raisons d’occupation des salles mais surtout je crois d’habitude de travail et de protocoles.
A la maison, c’est plus convivial pour tout le monde et je dirai même confortable.
Le père trouve plus facilement sa place. Si le couple le désire, d’autres personnes que le père puisse assister ou accompagner l’accouchement.
Le risque d’infection nosocomiale n’existe pas, nous sommes face aux germes connus de la mère donc moins dangereux pour elle et le bébé; attention cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas respecter les règles de bases de l’asepsie dans les gestes pratiqués.
Il n’y a pas de séparation d’avec les aînés, pas de rupture de lieu. Cela va plus de soi, il y a une continuité de temps, de lieu, de personnes qui facilitent les choses.
Les inconvénients pouvant venir aussi du suivi par une même personne : fatigue aussi de la sage-femme sur les accouchements longs, difficultés pour la sage-femme de prendre un autre avis ce qui se fait facilement en structure ne serait-ce qu’avec l’autre sage-femme de garde, indisponibilité pour X raisons (souvent autre accouchement).
Un des inconvénients que cela soit pour le couple ou pour la sage-femme est la non reconnaissance de cette pratique. Les couples ne pouvant en parler librement pendant la grossesse sans que les personnes à qui elles en parlent leur renvoie très souvent leurs propres peurs, ce qui est néfaste car une femme enceinte est vulnérable et on attire facilement ce dont on a peur.
Pour les sages-femmes, c’est aussi une difficulté car dans certains départements, faire un transfert d’une femme qui voulait accoucher à domicile est très mal perçu et cela peut amener certains couples, voire certaines sages-femmes à se mettre en danger par peur de l’accueil qui va leur être fait à l’arrivée à la maternité.
Certaines sages-femmes arrêtent cette pratique car elles finissent à la longue par trop mal vivre cette pression, voir dans certains endroits une sorte de « chasse aux sorcières » moderne.
Il faudrait quand même admettre qu’on n’empêchera jamais personne de mettre au monde son enfant à la maison si c’est vraiment son souhait, même dans des pays où cela était interdit comme l’URSS, cela continuait à se faire quand même.
Il faut donc à mon avis pouvoir proposer aux femmes et aux couples qui le souhaitent des solutions leur donnant un maximum de sécurité comme cela se fait aux Pays-Bas par exemple.
La sécurité, c’est aussi dans le lien entre les sages-femmes libérales qui assurent ces accouchements et les maternités locales et les médecins libéraux. Dans la reconnaissance de la complémentarité des compétences des uns et des autres et de ce qu’ils peuvent apporter aux couples et à leur bébé.
L’inconvénient pour les sages-femmes de cette pratique, c’est la disponibilité permanente, la difficulté de la concilier avec la vie familiale à quoi se rajoute : Pas d’assurance, une solitude dans le travail, des responsabilités immenses et aucun soutien des autres professions médicales, voire de leurs consœurs hospitalières : il faut une bonne résistance physique et psychique pour tenir.
Mais heureusement, il y a le bonheur d’accompagner toutes ces familles sur un bout de chemin et leur reconnaissance.
Dans les avantages de la maternité il y a bien entendu la disponibilité immédiate de l’anesthésiste ou de l’obstétricien en cas de besoin urgent.
Il n’est pas question que tous les accouchements aient lieu à domicile, il faut pouvoir proposer diverses solutions aux couples tel que des pôles physiologiques ou des maisons de naissance mais là aussi cela bloque en France.