Alors que la biologie fixe les limites de l’âge propice à la maternité, pour la paternité, les règles sont différentes. En théorie, un homme peut devenir père tout au long de sa vie d’adulte. En théorie seulement, car la paternité tardive n’est pas toujours bien vue.
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« Un enfant à votre âge ? Vous n’y pensez pas ! » Quand on croise un homme aux cheveux grisonnants poussant un landau, on a tendance à penser automatiquement qu’il s’agit d’un heureux grand-père. Et pourtant, la paternité tardive (soit après quarante-cinq ans) concerne aujourd’hui deux à trois fois plus d’hommes que dans les années quatre-vingts. Le phénomène des « papa-papy » ne recouvre que 5% des naissances, mais selon une étude réalisée par le CNRS (Centre national de recherche scientifique) pour la CAF (Caisses d’Allocations Familiales), il serait en pleine expansion : entrée de plus en plus tardive dans la vie de couple, recompositions familiales de plus en plus nombreuses après quarante-cinq ans… Les hommes tardent à fonder une famille.
Pouponner à la retraite : une lubie irresponsable ?
« C’est ton papy qui vient te chercher à l’école ? » « Pourquoi il est vieux ton père ? » Ces interrogations, les enfants de « pères sur le tard » les ont forcément déjà entendues dans la cour de récré. Mais Louis, 7 ans, ne manque pas de répartie. « C’est mon père, et il est aussi grand-père. Ca fait que je suis tonton, et pas toi ! », qu’il répond. Et pan. Christian, l’heureux papa de soixante-cinq ans, a deux enfants d’un premier mariage, Diane et Jeanne. Quand Jeanne est tombée enceinte, la nouvelle compagne de son père en était elle à son cinquième mois de grossesse. Louis a donc une nièce, Ludivine, qui a presque son âge.
« Quand j’ai rencontré Marion, j’ai eu envie de redevenir père », raconte Christian. Marion, c’est sa nouvelle compagne, de près de quinze ans son aînée. « A la rentrée, l’instituteur croit toujours que je suis le grand-père, mais la confusion est très vite oubliée. C’est moi le papa, et j’ai le temps de l’être 24h/24 ! », plaisante l’élégant retraité en jean-baskets. « Je n’ai pas l’impression que ce soit bizarre, en 2012, d’être à nouveau un jeune papa à mon âge. Les choses changent, les modèles familiaux aussi… Et c’est vraiment génial de pouvoir vivre ces instants de jeune père, à deux périodes de sa vie. » Pour soi, c’est peut-être génial, mais qu’en est-il des enfants, qui grandissent avec un père à la retraite ? « Pour l’instant, Louis est parfaitement à l’aise avec mon âge. Mais je ne peux pas savoir comment ça se passera entre nous quand il sera ado. C’est sûr que logiquement, il est amené à perdre son papa plus tôt que ses camarades dont les pères ont trente ans. Mais je ne pense pas que la décision d’avoir un enfant à mon âge soit égoïste pour autant. »
Ce n’est pas l’avis d’Hugues, trente deux ans, dont le père a fondé une deuxième famille à plus de cinquante ans. Selon lui, c’est inévitable : ses deux demi-frères, de onze et neuf ans, vont souffrir de l’âge avancé de leur père à un moment où à un autre. « Notre père a soixante ans. C’est sa seconde compagne, de treize ans son aînée, qui l’a convaincu d’avoir des enfants. Il n’a pas réfléchi à l’impact de cette décision sur le futur de mes demi-frères. Je remarque qu’il est très facilement fatigué, pas aussi alerte que quand il s’occupait de moi. Et le regard des autres, notamment à l’école, mais aussi dans la famille, n’est pas bienveillant vis à vis de cette situation. Notre père est bientôt à la retraite, ce qui veut dire que les choses ne sont pas non plus évidentes sur le plan financier », confie-t-il. « Je pense que tout dépend de l’état de santé et du tempérament du parent : dans le cas de mon père, oui, c’était une décision irresponsable. »
Etre jeune dans sa tête, c’est peut-être ça, la meilleure condition pour être un bon « parent sur le tard ». Marielle et Farid, la petite cinquantaine, en sont convaincus. « Nous sommes devenus parents il y a cinq ans, en adoptant un petit garçon âgé alors de quatre ans. », raconte Marielle. « Nous sommes obligés de rester jeunes ! L’équilibre se fait tout seul. Je pense que pour choisir de devenir parent, il faut avoir cette jeunesse en soi ; et quand on a un enfant en bas âge, on est automatiquement hyperactifs. Aujourd’hui, nous n’avons pas du tout le sentiment de ressembler aux personnes de notre âge, et c’est tant mieux ! » Pour Farid, pas de doute : être un bon père, ça ne se limite pas à un âge raisonnable. « Je ne me serais pas imaginé sans enfant, devenir père a toujours été évident. Mais j’ai longtemps mis ma carrière au premier plan, et c’est seulement vers quarante-cinq ans que j’ai senti que c’était le bon moment », explique le père de famille. « Je pense qu’avoir attendu de mûrir cette décision était quelque chose de très responsable. Je sais que mon expérience de la vie me permet aujourd’hui d’être un bon papa. »
L’homme jugé trop vieux pour récupérer ses paillettes
« Nous avons surmonté tous les obstacles biologiques et on nous en dresse un nouveau, bêtement administratif », racontent Florence et Henri dans une interview au JDD. Ce couple parisien a entamé il y a cinq ans une procédure de procréation médicalement assistée (APM). Le médecin qui les suit leur recommande de recourir à un don d’ovocyte pour palier à l’insuffisante ovarienne de Florence, en utilisant les spermatozoïdes d’Henri, congelés. Sauf que pour récupérer les paillettes d’Henri, le couple doit obtenir l’autorisation de l’Agence de la biomédecine, laquelle répond par la négative.
Selon l’Agence de la Biomédecine, « l’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. » Henri est âgé de 66 ans, Florence quant à elle a 40 ans. Le texte de loi ne donne pas plus de précisions sur les critères de validation de l’exportation des paillettes. En âge de procréer, oui, mais quel âge est-ce ? Si la plupart des centres d’AMP (aide médicale à la procréation) acceptent les hommes jusqu’à 60 ans, certains vont jusqu’à 70 ans.
Mais sans âge fixé par les textes, l’Agence de la biomédecine doit faire du cas par cas. C’est pour cette raison que Pr Louis Bujan, président de la Fédération des Cecos (Centres d’étude et de conservation des oeufs et du sperme humains), plaide pour la fixation d’un âge limite, pour que les choses soient plus claires. Pour Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice de l’Agence de biomédecine, cette décision est pourtant assumée : « Le nombre de fausses couches augmente avec l’âge du père, et le taux de réussite s’effondre après 60 ans. Je peux considérer, en fonction du dossier, que l’âge est trop élevé. J’assume. » Florence et Henri, eux, ont renoncé à un recours judiciaires, et se sont repliés sur une autre solution : le don d’embryon en Espagne.
Paternité tardive : est-ce bien raisonnable ?
« Quand on prend en compte le nombre de cycles de FIV (fécondation in vitro, ndlr) et l’âge de la femme, l’âge de l’homme n’est pas significativement associé au déroulement de la grossesse dans les techniques de procréation assistée avec don d’ovocytes dans cette population d’étude », explique Brian Whitcomb, de l’Université de santé publique et de sciences de la santé du Massachusetts, dans son rapport sur la question. L’étude qu’il a menée montre que si l’âge de la mère est une déterminante importante des chances de succès d’une FIV, un homme « âgé » peut tout à fait y avoir recours.
En revanche, la recherche montre qu’une paternité tardive n’est pas sans conséquence sur la santé de l’enfant. Trois équipes de chercheurs (l’une du Harvard-MIT Broad Institute, la seconde de l’université de Yale et la troisième de l’université de Washington) ont publié simultanément leurs travaux sur le sujet, au mois d’avril. Ils démontrent qu’un père dans sa quarantaine a six fois plus de risques d’avoir un enfant autiste qu’un père âgé d’une vingtaine d’années. Mais relativisons : la part génétique dans le risque d’autisme reste très importante.
Autre raison d’interroger la paternité tardive : le risque de fausse couche, plus important lorsque le père est âgé. Car contrairement aux idées reçues, les risques de fausses couches ne sont pas seulement liés à l’âge de la mère : l’âge du père aussi a un rôle à jouer. Le risque est ainsi multiplié par deux si le père est âgé de cinquante ans, que s’il est âgé d’une trentaine d’années, comme l’explique Rémy Slama, chercheur à l’Inserm, qui vient de publier une étude récente sur la paternité tardive dans l’American Journal of Epidemiology. Augmentation du risque d’accouchement prématuré, mais aussi de malformation congénitale… La recherche a sans aucun doute mis en évidence une série de risque accrus avec l’âge du père qui pourrait freiner le démon de midi de plus d’un homme.