Oubliez tout ce que vous croyiez savoir sur les enfants… Vous allez sortir d’un coup de la béatitude de la grossesse. Bébé, le vrai, débarque en fanfare et rien ne sera plus comme avant. Atterrissage immédiat.5127
bébé arrive: ce qui va changer…
Que change l’arrivée de bébé ? Absolument tout ! On comprend mieux, dès le retour de la maternité, pourquoi maman, pas pot de colle pour deux sous d’habitude, insistait tant pour venir s’installer chez nous au moins une semaine, si, si ma chérie, tu verras, ce sera mieux… Pourquoi aussi la terre entière nous disait de nous reposer à fond avant parce qu’après…
Après, c’est la révolution ! C’est fou ce que 3,5 kilos peuvent prendre comme place et mettre comme obstination à retenir toute notre attention. Un premier bébé c’est: des cris qui vous fendent le plexus, des pleurs que l’on ne s’explique pas, des heures à veiller la nuit et, dans notre esprit, tout ce que l’on a cru apprendre qui s’envole.
On en a lu, pourtant, des magazines spécialisés, des bouquins d’experts en matière de premier bébé. C’est simple, on savait tout et on s’aperçoit très vite que l’on ne sait plus rien, que ce petit bout d’humain est bien décidé à en découdre avec nos certitudes et notre patiente bienveillance. Suis-je une bonne mère, pourquoi les autres ont-elles l’air de s’en sortir et pas moi, comment notre Jules arrive-t-il à dormir malgré tout ce vacarme ? Tout y passe.
Et puis ces jeunes mamans que l’on croise dans la rue, avec lesquelles on compare forcément progéniture et compétences maternelles et qui vous affirment toutes que leur petit faisait ses nuits dès le retour à la maison…
Et puis ce pédiatre qui vous donne des astuces nulles qui pourtant marchent avec tous les enfants, je vous assure… Il est midi, on n’a pas encore trouvé le temps de prendre une douche alors que les nouveaux-nés dorment 16 heures par jour, enfin nuit, enfin en 24 heures, paraît-il ! Oui mais par petites phases qui ne nous laissent pas le temps, à nous, de nous endormir, tellement les nerfs sont à vif!
Au fil des jours et des semaines, on aura heureusement pris ses marques, enfin un peu compris ce qui cloche quand bébé braille et quand on sortira de cette phase d’immersion totale dans la maternité nouvelle, on ouvrira les yeux pour s’apercevoir que tout, absolument tout a changé autour de nous et, plus encore, en nous.
Les enfants d’abord
Désormais, on a appris par la force des choses et de l’amour à vivre d’abord pour son enfant, on a même appris que c’était lui qui nous apprenait à vivre. Pour la première fois, quelqu’un dépend de nous, attend tout de nous.
Finies les douillettes habitudes et la vie de patachon. Ne serait-ce que pour aller au cinéma, c’est toute une organisation. Les repas, le bain, la crèche ou la nounou, il a fallu apprendre à vivre selon des horaires précis, répétitifs car bébé a besoin de repères, de rituels… Exactement l’inverse de ce qu’il nous faudrait en ce moment !
Question amour, on est passé mine de rien du statut de couple à celui de famille, une famille restreinte ou élargie où chacun va devoir trouver sa place. Notre conjoint est aussi devenu père ou mère, nos parents et les siens sont devenus grands-parents, ce qui remet en question toutes les relations interfamiliales.
Il va falloir trouver le temps et la disponibilité d’esprit pour être un parent aimant tout en restant une amoureuse ou un amoureux désirable parce que l’arrivée de bébé, aussi heureuse et auréolée d’amour soit-elle, n’est pas tout dans notre vie même si elle change tout.
Et puis il y a aussi le boulot, que l’on devra parfois quitter brusquement pour cause de poussées dentaires, où l’on culpabilisera de n’être pas assez la tête à ses dossiers et la maison où l’on culpabilisera aussi de n’être pas assez présente auprès de notre enfant. L’arrivée de bébé, c’est toute une vie à réinventer.
Heureusement, il est là pour tout nous expliquer et, comme nous sommes tous des parents imparfaits, tout nous pardonner en nous apprenant, excusez du peu, l’amour absolu !
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«Après bébé, il faut retrouver un équilibre conjugal »
Elisabeth Darchis-Bayart, psychologue clinicienne spécialisée dans les thérapies conjugales et familiales, travaille depuis des années autour du nouveau-né et de ses parents. Elle est aussi l’auteure, entre autres ouvrages sur la question, de Ce bébé qui change votre vie aux éditions Fleurus. Elle nous explique comment bébé bouleverse notre existence.
Côté Mômes : Pourquoi l’arrivée de bébé, au-delà de l’aspect purement physiologique, est-elle un si grand bouleversement ?
Elisabeth Darchis-Bayart : La grossesse, la maternité, la naissance d’un bébé sont autant de moments chargés de grands bousculements.
Quand bébé arrive, on passe d’un coup du statut de fille à celui de mère et puis le bébé imaginaire devient un bébé réel. On passe aussi de la famille imaginaire idéalisée que l’on veut parfaite, à la famille réelle. Mais, malgré les turbulences, tout cela se passe bien dans la grande majorité des cas, à condition qu’en amont, on ait fait sa « crise de grossesse » qui consiste à régresser pour construire – les envies et les jolis caprices des femmes enceintes font partie de ce processus – à aller rechercher en soi l’enfant que l’on était pour être capable d’accueillir le sien, de l’adopter et de le comprendre.
La construction d’une place singulière pour ce bébé permet de ne pas fonctionner dans la « parentalité confuse » qui différencie mal les besoins propres du parent de ceux du bébé. Il y a tout un chemin à faire pour rencontrer son bébé.
CM : Quelles en sont les étapes ?
EDB : Au moment où bébé arrive et quelques heures après sa naissance, il faut réaliser son existence et prendre conscience de la nouvelle identité parentale. Pendant quelques heures, il est normal d’être un peu troublée, d’avoir du mal à adopter son enfant parce que l’on a affaire à un petit inconnu, à la fois si proche et si étranger.
Une fois que l’on a reconnu son bébé, on est plein d’élan pour répondre à ses appels. Puis, au bout de deux ou trois jours, on commence à réaliser qu’il n’est pas si simple de s’en occuper. Désarmées devant les pleurs du bébé et bouleversées par cette nouvelle responsabilité, certaines jeunes mamans se sentent envahies par la sensation de ne rien connaître, et par la peur de n’être pas capables.
C’est le fameux baby blues. Une phase de déprime très temporaire et finalement constructive pour la relation future avec l’enfant : en renonçant à être la mère parfaite qu’elle imaginait, la maman s’ajuste de façon adéquate aux besoins de son enfant et construit avec lui un bel attachement dans une relative sécurité qui la met à l’abri de la dépression post-natale qu’il ne faut pas confondre avec le baby blues.
Le baby blues : la relation s’organise
CM : Qu’arrive-t-il justement aux femmes qui vivent une dépression post-natale ?
EDB : Quand on ne s’est pas préparé psychologiquement à l’arrivée de ce bébé, soit qu’on le refuse inconsciemment, soit que l’on ait subi des traumatismes pas résolus dans l’enfance, il peut y avoir exceptionnellement un basculement trop brutal et une rencontre difficile pour établir un lien parent enfant dans la différence des générations. Alors, il arrive qu’on oublie son bébé, ou qu’on le rejette et qu’on n’arrive pas à l’adopter.
Ou alors la mère veut rester dans l’image de parent parfait coûte que coûte, et souvent dans la confusion avec des détresses anciennes. Elle ne s’en sort pas et se fatigue considérablement jusqu’à épuisement en luttant contre la dépression. Elle peut aussi sombrer directement en pensant qu’elle est nulle. Elle se dévalorise et se culpabilise alors tellement que la dépression post natale s’installe parfois pendant plusieurs mois.
CM : Quel est le rôle du père dans ce processus ?
EDB : C’est un rôle important. Quand tout se passe bien, il a une fonction de soutien, il rassure la mère sur la qualité des soins qu’elle prodigue à son nouveau-né. Moins vite propulsé dans les besoins immédiats du bébé, il relativise la demande de l’enfant et aide sa femme à trouver des limites pour qu’elle puisse se dégager progressivement de la fusion excessive avec son nouveau né.
La famille et le couple : attention aux boulversements
CM : Et le couple, dans tout ça, comment le faire évoluer après bébé tout en le préservant ?
EDB : Il faut une certaine souplesse, un désir et un plaisir commun pour partager ensemble les bénéfices de la famille et du couple ; mais il ne faut pas que le couple soit complètement un groupe fusionnel à deux incapable d’accueillir un « troisième ». C’est ce que Gérard Decherf, membre fondateur de la Société Française de Thérapie Familiale Psychanalytique, appelle « le couple anti-famille »
C’est un couple refermé sur lui-même, qui a des besoins infantiles. Dans ce cas, l’autonomie de chacun n’est pas assez développée et on a tellement besoin de l’autre que quand le bébé arrive, on entre dans des processus de rivalités, de jalousie dans la confusion avec bébé. Il arrive aussi que certains couples continuent leur vie comme avant, par exemple en sortant le soir tout en laissant le bébé sans garde.
Dans des cas plutôt rares, les parents perçoivent l’enfant comme un persécuteur empêchant la réalisation du bonheur familial : « Malgré tous mes soins, il continue à pleurer, pour m’embêter. C’est un mauvais bébé». L’autre versant, « la famille anti-couple » c’est le couple qui a contrario s’enfonce dans la parentalité exclusive, au détriment de la vie sexuelle. Pendant la grossesse, c’est normal que l’intérêt familial partagé prenne souvent le pas sur les énergies conjugales, mais après, il faut retrouver un équilibre, ne serait-ce que parce que la conjugalité bien équilibrée est un très beau cadeau pour l’enfant qui va grandir.
CM : Qu’en est-il des autres bouleversements familiaux ?
EDB : En général, la famille entière trouve de larges bénéfices face à ce petit être qui prolonge la famille et qui la gratifie. Mais les bouleversements sont présents aussi au niveau de chaque génération, surtout lors de la naissance d’un premier enfant. Les parents des jeunes parents deviennent des grands-parents avec toutes les angoisses du vieillissement, et les grandes questions sur la vie et la mort dans le passage d’une génération à l’autre.
Il faut céder la place. Dans les mythes ou les contes de fées, il y a beaucoup de ce sentiment d’être poussé d’un cran générationnel.
Et la famille refuse la filiation : le roi enferme sa fille pour ne pas qu’elle enfante ou la marâtre veut tuer la descendance pour ne pas être délogée d’une place où elle sera éternellement la plus belle, ou encore, les parents d’Oedipe veulent éliminer leur enfant. Il faut beaucoup de souplesse là aussi pour accepter la succession des générations.
On voit des grands-parents qui ne veulent pas être appelées mémé ou mamie, qui veulent gommer les générations. Il y en a aussi qui ne veulent pas du tout quitter leur place de parent et quand les petits-enfants arrivent, ils ont tendance à « disqualifier » leurs enfants en tant que parents. Il n’est pas rare d’entendre « Tu n’y arriveras pas, il va falloir que je t’aide ».
Et en même temps, quand chacun accepte de prendre sa nouvelle place, cette transmission de l’histoire familiale au fil des générations est merveilleuse.
C’est souvent l’occasion d’ailleurs de rapprochements familiaux heureux. Père, mère, conjoint, fratrie, grands-parents : tout le monde prend sa place dans la nouvelle organisation. Le bébé semble avoir changé la vie et les modes de fonctionnement de la famille.A lire pour en savoir plus :
Ce bébé qui change votre vie (en 2 tomes) par Elisabeth Darchis aux éditions Fleurus, collection Le métier de parents.